Ismail Serageldin

Speeches


Information, Savoir et Sagesse

 08/11/2006 | Geneva, Switzerland

 

Prologue:

 

Excellences, Mesdames, Messieurs,

Au début de cette allocution que vous me faites l’honneur de me permettre de vous présenter, je voudrais essayer de préciser les termes de mon exposé. Car pour discuter une réalité complexe, il faudrait utiliser des concepts précis… comme le disait le président Mitterrand: 

      « J’insisterai de ma part sur une discipline propre à toute une tradition intellectuelle française et que l’on ne devrait pas négliger présentement: celle de la précision sémantique: trop de quiproquos, d’ambiguïtés, de confusions entretenues ou non, sont bien souvent véhiculés dans le langage politique est plus généralement dans tout ce qui se rapporte aux conceptions que l’on a du devenir des sociétés humaines » (Qui-Vive international, nº5, février 1987, cite par Rouquette, Psych pol.).

      Et pourtant, les mots, eux sont une construction sociale, donc culturelle. Par la richesse de la culture et de l’expérience humaine, ils vivent par le contexte, au delà du temps et de l’espace. Ainsi, le mot « aimer » va de l’amour charnel à l’amour de Dieu. Et si pour des raisons scientifiques nous voudrions la précision de termes distincts, adaptés à la multiplicité des expériences de l'amour; à la réflexion, il est sage, comme se le disait le romancier Thomas Mann …

       « … de se contenter d'un terme vague auquel les poètes et les artistes, mais aussi les amoureux, savent donner toute la force d'une expérience originale; d'un mot qui, en raison même de son indétermination, nous rappelle la complexité des choses humaines ». (Victor Hell, L’idée de Culture: Chapitre Premier, pp. 14-15)

Donc, l’effort de précision auquel je me livre est limité. Je compte sur votre capacité de ‘contextualiser’ mes mots pour parvenir à présenter mes propos. Propos de nature culturelle, appelant cette complexité qui est aussi un fait culturel.

D’ailleurs je vais par la force des conventions établies, utiliser un autre mot dont le manque de précision me tracasse : « l’homme » ou « les hommes ». J’aurais préféré dire « la personne humaine » car la femme est toute aussi impliquée que l’homme dans la création de la chose culturelle et sociale, et les femmes même plus que les hommes dans le devenir de nos sociétés. Mais l’élégance de la phrase ainsi que l’usage fera que je parlerai des droits de l’homme et du rôle des hommes au sens large qui inclut les sens masculin et féminin.

Notre sujet s’est imposé par la révolution que nous vivons. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère, une ère que façonne la troisième grande révolution mondiale de l'humanité, ce sont les débuts d’un nouveau monde plus que jamais prometteur, plus que jamais périlleux.

La première des grandes révolutions mondiales était la révolution agraire qui a aidé les populations à se sédentariser et qui a donné naissance aux premières civilisations.

La deuxième grande révolution mondiale a été la révolution industrielle, qui a créé un essor nouveau à la production et au commerce, et qui a enrichi les nations du monde dans tous les domaines.

Nous sommes entrés aujourd’hui de plein pied dans la troisième grande révolution mondiale : l'ère de l’information, de la mondialisation et de la société des connaissances, et de l’économie du savoir, basée sur la science et la technologie.

Le monde subit une transformation tellement profonde qu’il devient difficile d’en percevoir les contours, d’en comprendre les forces motrices et d’en imaginer les monumentales conséquences.

Il est certain que la crainte que cette transformation provoque n’a d’égal que l’envoûtement qu’elle exerce sur l'imagination.

Généré par des ordinateurs de plus en plus puissants et des moyens de communication de plus en plus rapide, le langage numérique nous permet d’entremêler mots, musiques, images et données comme cela n’a jamais été fait auparavant. Au fur et à mesure qu’il crée de nouvelles industries, les anciennes disparaissent. D’un clic de souris ou d’un saut d’électron, des milliards de dollars parcourent le globe. La vitesse dévore la lenteur.

L'Internet transforme la signification même du temps et de l'espace. La révolution des technologies de l'information et de la communication (TIC) et l’explosion de l’information.

Ou plutôt l’explosion des données. Mais il faut organiser les données pour avoir de l’information. D’où vient la force de moteurs de recherches comme google.

On parle donc de société de l’information…

Mais il faut aussi interpréter ces informations pour produire des connaissances du savoir. Là toute une notion de contexte culturel s’impose.

En français, le terme de savoir a un sens qui ne coïncide pas exactement avec celui de connaissances alors que par exemple l'anglais utilise « knowledge » dans tous les cas. Le savoir est défini habituellement comme un ensemble de connaissances ou d'aptitudes reproductibles, acquises par l'étude ou l'expérience.

Ces connaissances et ce savoir, qui existent dans les esprits des humains, alliées à l’expérience, la réflexion, doivent faire naître la sagesse. Et pourtant nous ne parlons pas de société de la sagesse !

Le concept de société de la connaissance reprend en partie la notion de société de l'information, désignant une société dans laquelle se généralisent la diffusion et l’usage d’informations et qui s’appuie sur des technologies de l'information et de la communication (TIC) à bas coûts. Mais toutefois, le concept met plus largement l'accent, non pas sur les flux d’information et les réseaux qui les supportent, mais sur le savoir, la créativité, l'innovation, la connaissance. La vision est donc plus humaine même si cette société de la connaissance est portée par un développement technique.

On s'intéresse aussi à l'impact, considéré de plus en plus crucial, de la création et diffusion des connaissances sur le développement économique, par l'intermédiaire de l'intelligence économique dans les entreprises et les territoires… d’où le concept de l’économie du savoir.

La distinction entre société de l'information et société de la connaissance correspond à la différence entre information et connaissance. Je parlerai aussi de l’économie du savoir qui accompagne la société de la connaissance.

Au delà de ce prologue au sujet des mots et des concepts, je voudrai esquisser quelques réflexions sur quatre grands axes, à savoir:

      L’Axe 1 : La rapidité du changement
      L’Axe 2 : La pensée et la culture
      L’Axe 3 : Le citoyen de la cité universelle
      L’Axe 4 : Le défi de la sagesse

Ce sont tous des thèmes extrêmement porteurs. Chaque axe mériterait à lui seul plusieurs colloques. Mais j’espère que l’esquisse sera suffisamment précise et complète pour dégager un message direct et clair.

 

 

L’Axe 1 : La rapidité du changement

 


Aujourd’hui, nous vivons une folle aventure, qui transforme nos sociétés, emboîtant le pas à la mondialisation, et narguant les frontières politiques et les distances géographiques, ouvre le chemin à tout les acquis, tout le savoir, tout le temps à travers l’Internet. Pour nous, l’Internet est aussi bouleversant que l’imprimerie ne l’a été pour le Moyen Age. Peut-être même plus, car il nous oblige à changer notre manière de penser le temps.

Certes, tout le monde parle de la rapidité du changement, et de l’impact de la transformation technologique de ce siècle nouveau. En une vie – moins de 66 ans – les humains sont passés de l’impossibilité du vol mécanique à marcher sur la lune! Tintin l’a peut-être fait avant Armstrong, et Jules Verne l’avait certainement vu venir, mais la rapidité de cet essor technique est vertigineuse. Et le rythme s’accélère.

La quantité des informations disponibles à travers l’internet se multiplie. Leur qualité est extrêmement variable. La capacité de les juger, de choisir les plus valables, produit connaissances et savoir.

Le savoir se présente donc généralement comme une valeur collective ; une ressource de nature immatérielle. De ce point de vue, laissant provisoirement de côté l'insaisissable dimension psychologique, cette valeur prend l'allure d'un bien et même d'un « bien économique ». D’où l’économie du savoir. On chosifie donc cette réalité en la matérialisant dans le langage. On parle donc de :

      acquisition du savoir, accès au savoir, appropriation des savoirs ; transmission du savoir, échanges de savoirs, partage du savoir, circulation du savoir ; gestion du savoir (GS), maîtrise des savoirs, valorisation des savoirs.

Mais encore plus étrange que cette chosification du savoir et de sa valeur économique, est la disparition du temps dans les échanges. L’idéal de l’analyse économique devient de plus en plus réel. Aujourd’hui beaucoup de transactions sont faites sur l’Internet quasiment en temps réel. Les résultats de ces révolutions technologiques dans les télécommunications et dans les marchés de changes font que les bourses des capitaux échangent à plus d’un milliard de dollars par minute, soit un rythme suffisant pour acheter et vendre le PIB des Etats Unis en une semaine!

Et ce n’est que le début.

Amazon.com et ses compétiteurs nous facilitent le commerce à travers l’Internet. Il y en a qui estiment que le commerce sur Internet pourrait bientôt atteindre 5% du commerce mondial – un chiffre qui toucherait plusieurs milliers de milliards de dollars!

Mais l’Internet n’est pas uniquement un outil facilitateur, il est un outil transformateur. Transformateur non pas seulement de la manière de travailler mais, bien plus important, de la manière de penser le travail.

Ainsi, saisissant l’Internet, l’individu voulant vendre son produit, qu’il soit intellectuel ou physique, est obligé de penser dans la sphère globale:

      ses acheteurs seront du monde entier,
      ses fournisseurs seront du monde entier,
      ses compétiteurs seront du monde entier, et
      ses financiers seront du monde entier aussi!

Il ne peut plus se permettre de penser à l’échelle locale et survivre dans le monde du commerce sur l’Internet.

Autre transformation, celle de l’échelle de l’opération: L’Internet permet aux plus petits de faire la concurrence aux plus grands, dans des niches bien définies bien sûr, mais néanmoins à une échelle globale.

Troisième transformation en profondeur, c’est la rapidité des flux d’information, qui fait que les consommateurs sont mieux informés qu'ils ne l’ont jamais été, et que la concurrence deviendra donc de plus en plus féroce.

Et ce n’est que le début.

Ces transformations en profondeur sont arrivées jusqu’à la réalité de l’usine et du marché avant d’être inventés dans la réflexion académique sur la nature de l’économie. Les habitants des tours d’ivoire viennent toujours en aval de ces transformations. Les institutions qui savent faire la jonction entre l’usine et l’académie seront bien placées pour jouer un rôle fascinant dans ce nouveau millénaire.

Là un autre grand défi se profile. Le monde des pauvres et des démunis risque d’être laissé pour compte dans cette transformation de l’économie du savoir et de la mondialisation. Les échanges commerciaux aujourd’hui peuvent donner un avantage comparatif à l’Inde, la Chine ou Singapore, mais pour beaucoup des pays les plus pauvres en ressources humaines, le risque est que ce jeu de la dette et du commerce ne sont que myopie des uns et misère des autres.

Est-ce que l’économie du savoir, assise sur une société des connaissances, développe des valeurs d’un humanisme universel, qui permettra de soutenir une solidarité sociale planétaire en même temps qu’elle offrira les opportunités nouvelles pour les entreprises et les individus ?

 

 

L’axe 2 : La pensée et la culture:

 


Si l’Internet nous permet l’accès immédiat à toutes les connaissances, il a tout de même plusieurs défauts. D’abords, il encourage une certaine superficialité, évinçant la réflexion profonde. Jean-Noel Jeanneney a reconnu le défi de Google à l’Europe, pas sur le domaine économique mais sur le domaine de la pensée. Pas seulement du point de vue de favoriser la langue anglaise, mais pour sa rupture avec la continuité culturelle, pour son émiettement des créations intellectuelles : des paragraphes ou des pages étant l’unité de travail des moteurs de recherches. Il y a la une réelle perte de quelque chose de fort précieux.

Par contre, pour ceux qui maitrisent déjà leur sujet, l’internet, est un extraordinaire instrument de recherche. Mais pour ceux qui ne connaissent pas bien leur sujet, la variabilité de la qualité des informations disponibles présente des risques considérables.

Toutefois, et bien plus important, est le fait que l’internet force une nouvelle manière d’organiser le savoir. La densité de hyper-connexions, l’hypertexte, deviens un pilier essentiel de l’organisation du savoir aussi bien que pour sa présentation. Des nouvelles perspectives pour des travaux collectifs et pour les collaborations à distance s’ouvrent. La toile (dit le web) deviens bien plus qu’un dépôt des connaissances, elle devient instrument d’organisation du travail.

Selon les époques et les cultures, la conservation du savoir et la transmission des connaissances s'appuient sur la communication orale et l'expression écrite. Des « entrepôts du savoir » sont créés et entretenus comme mémoire collective : bibliothèque, centres de documentation, musées, etc. Il faut aujourd’hui réinventer les bibliothèques. Les musées et les universités, pour créer des nouveaux centres de conservation, création et transmission des savoir. Car il y va de notre capacité créatrice, et de notre richesse culturelle.

Le devenir des sociétés humaines est lié à leurs cultures.

Car si le système économique de production existe, c’est d’abord pour le bien-être des hommes – instrument et finalité de tout développement. Si le système économique existe, c’est bien dans le cadre d’un Etat, des lois, des institutions, d’un système de valeurs, de règles du jeu, qui se réclament d’une identité culturelle.

Cette identité culturelle est aujourd’hui

      bafouée par la mondialisation, et son caractère homogénéisant ;
      secouée par le rythme fou du changement ;
      étranglée par la force des importations culturelles et linguistiques…

Et pourtant, elle s’affirme partout. Parfois de manière bénéfique, où la solidarité basée sur l’identité commune permet aux plus démunis de faire face aux incertitudes de la vie. Parfois de manière néfaste, comme on le voit souvent dans les luttes des ethnies des Balkans à l’Afrique. L’importance économique de ce phénomène ne peut être surestimée. La présence bénéfique contribue énormément à la croissance économique. La manifestation néfaste empêche tout développement.

Mais au delà de l’effet économique de ces phénomènes, comment est-ce-que cette révolution technologique que nous vivons se traduit dans le domaine de la culture ? Car les identités des individus et des groupes se sert d’un outillage culturel pour établir ces liens et ces limites. L’identité de l’individu, son adhésion à un groupe est un phénomène culturel.

Aujourd’hui, le monde se parle en direct … la valorisation de la diversité est partout. Mais elle suscite une anxiété énorme chez les hommes, qui cherchent une identité plus claire. .. d’où ce qu’Amin Maalouf a appeler les identités meurtrières.. Les identités qui veulent se borner à une seule dimension dans un monde pluri-dimensionnel.

Les artistes, porteurs des valeurs de leur temps, épris de leur patrimoine et artisans du changement d’expression dans les sociétés, ont eux aussi subis les problèmes de cette diversité, qui se développe tout au long du 20e siècle, bien avant l’internet et la mondialisation de nos jours. Il y a 50 ans déjà, André Malraux, observateur critique et sans illusions, disait que « L'art devient une interrogation du monde ». Au lieu d'affirmer, il « suggère de plus en plus la mise en question d'un monde qui n'est pas le sien », d'un monde de plus en plus inhumain. « Mais peut-il exister une culture limitée à l'interrogation? » (André Malraux, Les voix du silence (1951), pp. 601-602. citée dans André Richard, La Critique d’Art, Conclusion, pp. 124-125)

Cette diversité qui, malgré l’effet homogénéisant de la mondialisation, s’accentue chaque jour, éveille un doute sur le bien-fondé des valeurs. Et, à mesure que la société planétaire prend conscience de l'unité scientifique et technologique, elle perçoit davantage ses atavismes régionaux et l'avènement irrésistible de l'individu, d'autant plus épris de liberté qu'il est plus engagé dans un ordre matériel plus rigoureux.

Les débats politiques portent de plus en plus sur les questions culturelles et religieuses. L’immigration, l’assimilation, le pluralisme culturel, ne sont plus des sujets de débats académiques de spécialistes. Est-ce que ces débats vont produire un humanisme universel mais neutre, de même que les querelles religieuses ont suscité l'agnosticisme, ou va-t-on vers un humanisme universel positif, porteur de solidarité et d’espoir ?

Il y a là tout un monde à explorer, et à comprendre.

 

 

L’Axe 3 : Le citoyen de la cité universelle

 


Des nouvelles tensions se font sentir dans toutes les sociétés. Pour beaucoup, la culture nationale, dite culture populaire, est affectée par les immigrants. Leur culture nouvelle, ne fusionne pas facilement avec la culture populaire dominante. De surcroît, les médias semblent envahir toute culture nationale, véhiculant un message étranger, hollywoodien, et inacceptable malgré leurs percées commerciales.

Pourtant toute culture n’est que mémoire et métissage, car le métissage culturel est porteur de richesse et de renouveau.

Ici, nous voulons souligner qu’il y a grande différence entre culture populaire et culture de masse. La culture populaire n'est pas simplement le folklore, car elle concerne toute une façon de vivre (manger, habiter, parler et communiquer, …). Pour beaucoup, la culture populaire se confond avec la culture de masse. Pourtant il y a une grande différence. La première est basée sur l’expérience vécue des individus dans une société, de leur naissance à leur mort. La seconde englobe l'ensemble des médias, dont la fonction est double: susciter des besoins culturels chez le plus grand nombre et les satisfaire.

La manipulation des médias fait partie du répertoire politique de toutes les sociétés. Mais pour le meilleur devenir de nos sociétés, la masse doit cesser d'être un agrégat d'individus isolés dans un « anonymat informe », qui dénature l'existence humaine. Une conception dynamique de la culture s’impose.

Une véritable culture mondiale, au-delà des tribalismes, des nationalismes et des culturalismes est à créer. Une telle universalité est-elle seulement possible ? Quelle serait l'essence d'une civilisation mondiale ? L’affaiblissement des Etats-nations et des cultures régionales permettra-t-elle, dans l'urgence actuelle, de favoriser l'émergence d'une nouvelle identité humaine ? Permettra-t-elle de mieux définir la vocation fondamentale de l'homme ? Comment promouvoir un ensemble de valeurs universelles sur lesquelles l'humanité tout entière pourrait s'entendre ? Et d'ailleurs, comment garantir que l'idée même d'universel est bien universelle, c'est-à-dire également reçue par la diversité des cultures?

Je viens d’Alexandrie, une ville qui lie entre la cité indépendante de l’ère hellénique, à la capitale impériale égyptienne, et pourtant qui demeure au delà de l’Egypte, l’ultime métropole de la méditerranée, la ville ouverte à la culture universelle. Au fil des siècles Alexandrie connaîtra des périodes glorieuses et bien de périodes de dépérissement.

De la rupture à la restauration une conception de la cité et du citoyen se dégage. .. cité mythique, Alexandrie est presque déserte quand elle devient le port d’entrée de Bonaparte. Mais elle se relève, une grande base du renouveau de Mohamed Ali, elle renoue avec son cosmopolitisme même sous le joug britannique. Elle sera le dernier sol égyptien que fouleront ces monarques, et elle sera site de déclarations révolutionnaires Nassériennes. Finalement, à l’Alexandrina, elle sera hôte à la revendication de la société civile arabe, lancée dans la « déclaration d ‘Alexandrie » de 2004. Le peuple se retrouve, s’éprouve, et refait son avenir par le pouvoir du mot, et de l’idée.

Mais comme le disait Rouquette :

      Dans cette très longue pièce qui déborde son existence personnelle, le citoyen tient un rôle plurivoque et fragile que d’autres, toujours, ont à peu près réglé pour lui : tour à tour témoin, acteur et enjeu, il est tantôt membre du chœur et tantôt coryphée, victime muette, héros bavard ou simple figurant dont l’ombre effleure à peine les murs de la cité. … Le citoyen est escamoté. Il porte en lui, cependant, la communauté et la différence, la soumission et la révolte, l’émergence et l’entropie. Penseur autant qu’il est pensé, socialement engendré et politiquement géniteur, son domaine est ambigu mais focal.

Si j’ai choisi dans ces quelques mots de me focaliser sur le citoyen, et son rôle dans la société, pour ainsi voir la cité, c’est parce que je suis convaincu que c’est le citoyen qui saura faire face aux dilemmes du développement, de la protection du patrimoine et de la mise en jeu de nouvelles technologies, qui respecte l’environnement et l’écologie. C’est le citoyen qui créera les structures et les lois qui vont promouvoir l’équité sociale autant que la croissance économique.

Face aux problèmes des identités simplifiées et meurtrières, il faut dénouer les régularités et surmonter les accentuations qui les lient à une culture ou une sous-culture. Le dialogue s’impose.

Le dialogue cherche à traiter de ces différents points de vue avec la volonté de comprendre et d’apprendre de ceux qui ne voient pas le monde de la même façon que nous. Un dialogue efficace est donc une interaction qui enrichit, qui ouvre l’esprit et qui encourage un partage respectueux des idées et une découverte des différentes voies de la pensée par lesquelles on aborde et on comprend les choses. Cette interaction augmente les possibilités d’une connaissance plus large et plus profonde de soi-même et de notre vision du monde. Le dialogue interculturel encourage les gens à identifier les frontières qui les définissent, les invite à communiquer au-delà de ces frontières et même de les remettre en question.

Les rapports entre générations sont magnifiés. Les tendances démographiques et autres changements sociaux intervenant dans la société mettent l'instinct traditionnel de conservation de l'individu et celui de la société à rude épreuve, ce qui amène la nécessité d’instaurer un nouveau dialogue entre les générations dans la famille, la collectivité et la société, en particulier en ce qui concerne les soins, la garantie des moyens d'existence et la culture.

La famille, premier cercle où les générations nouent d’étroits rapports et s’entraident, constitue pour ses membres "le premier secours et le dernier recours".

L’évolution démographique, culturelle et socio-économique de la famille peut toutefois avoir des incidences sur les relations intrafamiliales. Cette évolution met à la fois à rude épreuve les rapports entre les générations et ouvre de nouvelles perspectives dans ce domaine.

Comment faire en sorte que la culture prévienne le conflit intergénérationnel alors qu’elle est, traditionnellement, un des instruments privilégiés de ce conflit ?

la jeunesse porte en elle les défis du futur, mais il est du ressort des institutions culturelles de faciliter l’intégration de tous les groupes sociaux, ethniques, religieux, démographiques qui en constituent les sociétés civiles. Il ne faudrait pas perdre de vue que la culture, après avoir été instrumentalisée, égarée, détournée de ses objectifs de progrès humain et social, soit à nouveau un outil de liberté, d’épanouissement et de cohésion sociale. Autant dire tout ce qui pourrait contribuer à rapprocher entre elles les générations, sans chercher à combler le traditionnel fossé qui en constitue la figure historique et finalement terriblement humaine.

En parallèle, un dialogue interculturel s’impose. Ce dialogue des cultures revêt un sens nouveau, dans le cadre de la mondialisation et du contexte politique international que nous connaissons aujourd’hui. Il devient ainsi un outil indispensable pour assurer le maintien de la paix et de la cohésion du monde. Dans cet univers de plus en plus mondialisé et interdépendant, où la rencontre de différences culturelles est pratiquement inévitable, il est essentiel que les nations, les communautés et les individus développent la capacité d’engager un dialogue de tolérance et de respect.

En ce début de troisième millénaire, nous nous trouvons dans un environnement multiculturel à la fois riche de promesses mais aussi porteur de conflits. Certes, la politique culturelle ne résoudra pas tous les problèmes de la société, la culture, en tant qu’instrument de communication privilégié, est un facteur essentiel à considérer soit pour la prévention de situations de conflit, soit pour assurer une meilleure cohésion sociale post-conflictuelle, un meilleur « vivre-ensemble ».

L’idée de « dialogue interculturel » puise sa source dans la reconnaissance de la différence et de la multiplicité du monde dans lequel nous vivons. Ces différences d’opinions, de points de vue et de valeurs existent non seulement au sein de chaque culture mais aussi entre les cultures.

Chaque culture puise à ses propres racines, mais ne s’épanouit qu’au contact des autres cultures. Il ne s’agit donc pas d’identifier et de préserver toutes les cultures prises isolément, mais au contraire de les revivifier afin d’éviter leur isolement, de contrecarrer des dérives identitaires et de prévenir des conflits.

Il faut mettre l’accent sur la diversité des composantes de l’identité de chaque individu, tout en rappelant toutes les valeurs auxquelles nous appelle notre humanisme universel. Une telle culture est a portée de nos sociétés, cette culture qui seule permet à l'homme de réaliser pleinement les potentialités de sa nature humaine, de créer un espace réellement humain.

Déjà Hell disait :

      "Cet espace humain s'étendra de plus en plus jusqu'à rejeter toute limite pouvant entraver la liberté de l'homme, son dynamisme, sa soif de connaître et sa volonté d'assujettir les forces de la nature à ses desseins." (Hell, Conclusion, p.119).

 

 

L’Axe 4 : Le défi de la sagesse

 


Nous avons besoin d’une nouvelle génération de leaders politiques aussi bien que des gestionnaires et des savants et des intellectuels. Pour faire face à ce monde, à cette culture en transition il faut du nouveau.

Les leaders de demain doivent être capables d’innover. Faire appel à un passé mythique ne peut répondre aux besoins d’une génération nouvelle. Cela vas requérir de la créativité ; une sensibilité générale aux problèmes et la capacité de redéfinir ces problèmes d’une manière qui met en valeur leur potentiel de solution. Il faudra une fluidité de la pensée; de la flexibilité ; une capacité à changer de point de vue; et surtout de l'originalité ou tendance à des réponses novatrices.

      "(…) comprendre et interpréter un nouvel élément de savoir selon son propre horizon de référence: on assiste alors à un processus complexe d'assimilation, c'est-à-dire à la fois d'intégration et de transformation. Ainsi, une notion devenue « commune » ne se dissout pas dans l'indifférenciation de l'universalité et ne se réduit pas à un commun dénominateur d'inconsistance: elle est toujours la notion propre d'une époque et d'un groupe." (Rouquette Créativité : Chapitre Premier, p.7)

Parmi les défis qui exigent les réponses d’un leadership pourvu de vision, il y a ceux déclenchés par les demandes croissantes et insistantes pour une participation populaire et une bonne gouvernance, pour un compromis ethnique, culturel, de genre, et une diversité religieuse. Les leaders qui ne sont pas particulièrement conscients et sensibles aux problèmes de diversité ne perdront pas seulement les opportunités offertes par la diversité socio-culturelle et même politico-économique, mais ils échoueront également à porter une attention particulière à, et réussir, une médiation aux demandes créées par cette diversité. Un tel échec alimenterait un conflit inutile.

Du caractère, de l’intégrité, un engagement pour l’excellence et une recherche incessante pour la perfection et le pragmatisme sont parmi les attributs définis de la nouvelle génération de leaders dont on a besoin pour conquérir les obstacles à la croissance économique et au développement.

Au-delà de tout ça, il faut la sagesse.

Aujourd’hui avec le rythme fou du changement, on peut demander si l’expérience du passé a de la valeur pour les décisions de l’avenir. Certes, le passé nous accable d’un héritage particulièrement lourd. Ce que Gustave Le Bon appelait l’« impérieuse volonté des morts » et qui résulte plus en obligations qu’en libérations. Ainsi la politique est à la fois le résultat du passé et le fruit du projet. La sagesse consistera donc de savoir comment traiter avec cet héritage, qui demeure une partie intégrale de nos identités, nos cultures, nos sociétés. Il faut savoir différencier l’essentiel de l’éphémère et du périmé, et pouvoir ainsi créer un cadre culturel intégrant et intégré, capable de garder une continuité avec le passe, tout en articulant un espace de liberté pour inventer l’avenir.

La sagesse pour moi doit aller bien au-delà de la maîtrise des technologies ou l’accumulation des connaissances ou même du savoir. C’est une capacité de les lier à la réflexion et au jugement fonde sur l’expérience. Une action sage va bien au-delà des servitudes et des improvisations de l’instant, au delà même de nos morales circonstancielles ou utilitaires. Pour éclairer les choix et nourrir la réflexion, il demeure des problèmes que la recherche ne saurait délaisser :

      « …l’articulation toujours indécise de l’individu et de l’histoire : la gestion des croyances ; la vérité des représentations et la force des mythes ; le vertige de la séduction, la folle raison des foules. » (p.7).

La recherche toutefois ne peut pas produire la sagesse. Elle produit des connaissances et du savoir. Pire, il faut reconnaître qu’aujourd’hui les explications des faits politiques imaginent autant qu’elles interprètent. Le manque de rigueur théorique produit des modèles ou le savoir et l’opinion, le raisonnement et l’intuition ne se distinguent pas. « La rationalité, perpétuellement subvertie, est une espérance ou un faux-semblant. » (p.7 ?)

 

 

Conclusions :

 


Excellences, Mesdames, Messieurs,

En guise de conclusion de ces quelques réflexions que j'ai eu l'honneur de partager avec vous, il me semble important de rappeler que le défi intellectuel et pratique pour la prochaine décennie, cette décennie qui lancera l’humanité au 3ème millénaire, doit être relevé. Il faut maîtriser les nouvelles technologies, tout en ouvrant un champ libre à toutes les innovations. Il faut célébrer les diversités de nos identités, et renforcer notre humanisme universel. Il faut trouver dans les structures de la connaissance et dans les mécanismes de la pensée, comment transformer l’information en savoir. Il faut repenser les idées reçues de l’économie et de la gestion, il faut inventer les institutions souples et efficaces qui assureront la production et l’équité. Il faut assurer la jonction entre le monde académique et l’entreprise. Il faut se rappeler que l’homme est l’instrument et la finalité de tout développement..

La mise en place de ces nouvelles structures et de ces nouvelles conceptions d’économie et de gestion vont faire la différence entre un monde où la misère et la richesse se côtoient, et ou la paix sociale sera précaire et un monde dans lequel la croissance bénéficiera à l’humanité toute entière. Il en va du sort des populations qui réussiront à améliorer les conditions de leurs existences, qui demeurent précaires pour la vaste majorité de l'humanité. Il en va donc du sort de notre planète que ce soit pour la sécurité des populations ou pour la qualité éthique du monde du nouveau millénaire.

C’est pour cela que ces démarches sont importantes. Il faut réussir à créer un monde nouveau, un monde meilleur. Au moment où nous tournons la page sur un siècle de guerre et d’émancipation, il faut allier la réflexion à l’action, et réussir. Il faut réussir, quels que soient les obstacles, comme disait Aragon:

      [Q]uelles que soient les péripéties de l'immense troupeau, les catastrophes des continents, les aléas monstrueux de l'histoire, surtout, surtout quelles que soient les transformations imprévisibles d'une humanité en proie au miracle de son esprit, ou conséquences infinies de l'immense partie d'échecs qui va donner la clé de l'avenir. Quels que soient les développements de ce qu'elle infante et l'apocalypse commencée. . . .

Il faut réussir!

Et on réussira !

Je vous remercie de votre attention.


Copyright © 2024 Serageldin.com